D.M. Mme Roland

Sujet : La Révolution française et ses limites.

Consigne : Après avoir présenté le contexte de rédaction du document et l’auteur en détails, montrez à quelles limites se confrontent la Révolution française.

Lettre de Manon Roland à Robespierre

« À Robespierre,

le 23ème jour du premier mois de l’An II (14 octobre 1793),

De l’infirmerie de Sainte-Pélagie,

Entre ces murs solitaires, ou depuis tantôt cinq mois l’innocence opprimée se résigne en silence, un étranger paraît. C’est un médecin que mes gardiens amènent pour leur tranquillité ; car je ne sais et ne veux opposer aux maux de la nature comme à l’injustice des hommes d’un tranquille courage. En apprenant mon nom, il se dit ami d’un homme que peut-être je n’aime point.

[Le médecin :] – Robespierre.

[Manon Roland :] – Robespierre ! Je l’ai beaucoup connu et beaucoup estimé ; je l’ai cru un sincère et ardent ami de la liberté.

[Le médecin :] – Eh ! Ne l’est-il plus ?

[Manon Roland :] – Je crains qu’il n’aime aussi la domination, peut-être dans l’idée qu’il sait faire le bien ou le veut comme personne ; je crains qu’il n’aime beaucoup la vengeance, et surtout à l’exercer centre ceux dont il croit n’être pas admiré ; je pense qu’il est très susceptible de préventions, facile à se passionner en conséquence, jugeant trop vite comme coupable quiconque ne partage pas en tout ses opinions. […]

Robespierre, si je me trompe, je vous mets à même de me le prouver, c’est à vous que je répète ce que j’ai dit de votre personne, et je veux charger votre ami d’une lettre que la rigueur de mes gardiens laissera peut-être passer en faveur de celui à qui elle est adressée. […]

Parlez ; c’est quelque chose que de connaître son sort, et, avec une âme comme la mienne, on est capable de l’envisager.

Si vous voulez être juste et que vous me lisiez avec recueillement, ma lettre ne vous sera pas inutile, et dès lors elle pourrait ne pas l’être à mon pays.

Dans tous les cas, Robespierre, je le sais, et vous ne pouvez éviter de le sentir : quiconque m’a connue ne saurait me persécuter sans remords.

Roland née Philipon.

Nota. L’idée de cette lettre, le soin de l’écrire et le projet de l’envoyer se sont soutenus durant vingt-quatre heures ; mais que pourraient faire mes réflexions sur un homme qui sacrifie des collègues dont il connaît bien la pureté ? […] »

Mémoires de Madame Roland, Lettres de la prison n°XXVI, in CIaude Perroud, Nouvelle édition critique contenant des fragments inédits et des lettres de la prison, pages 387-393, Paris, 1905